Soirée du mardi 26 janvier 2021

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PELLÉAS ET MÉLISANDE

Drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux de Claude Debussy

sur un livret de Maurice Maeterlinck d’après sa pièce de théâtre homonyme

Créé le 30 avril 1902 à l’Opéra Comique à Paris sous la direction d’André Messager


GÉNÉRIQUE

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Avec la participation du Choeur de l’Opéra de Dijon

Direction musicale : Pierre Dumoussaud

Assistant direction musicale : Frédéric Rouillon

Mise en scène et scénographie : Éric Ruf

Reprise mise en scène : Julien Fisera

Costumes : Christian Lacroix

Lumières : Bertrand Couderc

Mélisande : Adèle Charvet

Pelléas : Huw Montague Rendall

Golaud : Nicolas Courjal

Arkel : Jean Teitgen

Geneviève : Lucile Richardot

Yniold : Anne-Sophie Petit

Le Médecin, le Berger : Richard Rittelmann

Figurantes : Ginette Anne, Sophie Lephay, Agathe Lenne

Coproduction Théâtre des Champs-Elysées, Opéra de Dijon, Stadttheater Klagenfurt,

Théâtre du Capitole Toulouse, Opéra de Rouen Normandie

Enregistrement France Musique

Captation vidéo Jean-Pierre Loisil


Voir le livret de Pelléas et Mélisande

La Presse unanime

1° Le Figaro

Les Révélations de Pelléas et Mélisande

Par Christian Merlin

Le Figaro du 25/01/2021

L’Opéra de Rouen a encore en mémoire le traumatisme de septembre: l’annulation de Tannhäuser à la veille de la première, à la suite de la découverte d’un cas positif dans la distribution. La résilience sera venue de Pelléas et Mélisande, le chef-d’œuvre de Debussy, […] diffusé en direct [le 26 janvier 2021] sur La Chaîne normande, le site de l’Opéra de Rouen et les réseaux sociaux. Nous avons pu voir l’une des deux représentations qui auront précédé ce direct, afin que les artistes aient le temps d’entrer dans leurs personnages, d’autant que les trois protagonistes chantent leur rôle pour la première fois. Orchestre réparti sur le proscenium du parterre, chanteurs sur scène, quelques spectateurs autorisés au balcon (journalistes et membres du personnel): le dispositif est désormais familier. Ce qui l’est aussi, c’est la concentration et l’intensité palpables chez des artistes conscients du miracle que c’est d’être en train de jouer leur spectacle.

S’il faut regarder ce Pelléas, c’est avant tout pour découvrir une distribution jeune et formidablement prometteuse. On a peine à croire que Nicolas Courjal donne son premier Golaud tant son humanité tourmentée, sa voix pleine mais claire, sa diction et sa prosodie parfaites tiennent déjà de l’accomplissement. Il faudra juste éliminer le sanglot de la fin, effet vériste qui n’a pas sa place dans cet opéra des «choses dites à demi». On est époustouflé par le Pelléas de Huw Montague Rendall. Fils de la mezzo Diana Montague et du ténor David Rendall, excellents chanteurs des années 1980, le baryton anglais a le physique, la voix et le français pour être «le» Pelléas de sa génération.

[À la répétition], Adèle Charvet était encore intimidée par le rôle principal, comme si elle n’avait pas encore apprivoisé «ce rien dont est faite Mélisande», évoqué par Debussy. Mais elle a tout le temps, et [...]elle [était] déjà plus libérée lors du direct [...]. Peut-être aurait-il fallu une mise en scène plus habitée que celle d’Éric Ruf, qui s’attache aux atmosphères plus qu’aux personnages. La direction de Pierre Dumoussaud n’appelle que des éloges, trouvant un bel équilibre entre clarté analytique et vie théâtrale, tout en faisant ressortir l’extraordinaire modernité de cette musique entêtante.

2° Forum Opéra

Pelléas et Mélisande - Rouen

Par Yannick Boussard/ 26 janvier 2021

Qu’il eut été dommage que l’Opéra de Rouen Normandie renonçât à cette production de Pelléas et Mélisande ! L'institution, distinguée par nos lecteurs pour sa pugnacité dans la crise, a fait le choix de la monter et chaque représentation a bien lieu… mais sans public. Pourquoi ? Pour permettre à quatre chanteurs, certains désœuvrés au cours de l’année passée, d’effectuer leur prise de rôle. Pour inviter quelques journalistes à raconter la vie d’un théâtre et d’un art qui ne veut pas faire silence. Pour laisser France Musique enregistrer et diffuser (le samedi 6 Février à 20h) ce chef-d'œuvre de Debussy. Pour permettre enfin à la télévision de capter le spectacle et de le rendre accessible au plus grand nombre (en direct le 26 janvier sur Facebook et La Chaine normande).

Grand bien leur en a pris. La production d'Eric Ruf, déjà vue au Théâtre des Champs Elysées et à Dijon, ne surprend plus personne. Elle est habile et de bonne facture, vaguement conceptuelle avec ce filet de pêche qui pend comme une menace damoclessienne, où ce silo moins minéral que métallique dans lesquels les habitants d’Allemonde semblent ne vouloir cesser de tomber comme une Alice dans le terrier du lapin. La direction d’acteur est à l’avenant, proche du sens littéral du poème de Maeterlinck.

La direction fine, ciselée de Pierre Dumoussaud vient y mettre du sel et des épices. Tout d’abord par le traitement qu’il choisit pour les interludes. Il s’éloigne de l’évidence wagnérienne de ces mesures, refuse l’emphase et les scansions traditionnelles pour maintenir autant que possible la légèreté diaphane et les couleurs brumeuses du chef-d'œuvre de Debussy. Surtout cela permet de magnifier un orchestre irréprochable, petite harmonie et harpes en tête, dont on jouit d’autant plus qu’il siège sur ce qui fut le parterre du théâtre. Certes la balance avec le plateau s’avère parfois compliquée mais cela sera corrigé sans mal à la captation. Enfin, le jeune chef d’orchestre épouse le drame et propose des variations des tempos vertigineuses que solistes et musiciens suivent à la lettre : une telle cohésion, une telle richesse interprétative et un tel sens du théâtre doivent être salués.

Comme à Dijon, la distribution a été presque intégralement renouvelée, à l’exception de Jean Teitgen qui retrouve avec le même bonheur, la même diction soignée, le même timbre mordoré l’habit du grand-père qui cache sa sévérité derrière son humanité. Lucile Richardot dont c’est la première Geneviève, trouve dans l’humilité et la prudence une palette de nuances subtiles qui rend sa lecture de la lettre un moment captivant. Huw Montague Rendall suit le chemin ouvert par sa mère il y a quelques décennies. Son premier Pelléas est déjà aussi lumineux qu’il peut être enfiévré, habité comme évanescent. L’adéquation du rôle aux moyens va de paire avec une incarnation juvénile qui tombe sous le sens. Autre prise de rôle en Mélisande, Adèle Charvet suit l’exemple de ses comparses. Le chant est probe, un rien effacé dans le bas registre mais beau et incarné dans les parties plus lyriques (comme la scène de la Tour). Elle compose un personnage mystérieux comme il se doit, même s’il reste un rien monotone. Dernière première enfin avec Nicolas Courjal qui mène son personnage de plus en plus loin dans la folie et la violence sans jamais sortir du cadre stylistique voulu par Debussy. C’est en suivant les méandres des phrases, les rigueurs de la rythmique que son Golaud devient sec et cassant, délirant et meurtrier. Chez lui aussi, ce sont l’humilité de la lecture et le souffle qui portent le texte avant tout, ce qui rend d’autant plus efficaces les quelques accents sadiques et le venin fielleux disséminés au revers d’un mot.

3° OLYRIX

Pelléas et Mélisande à Rouen, voix nouvelles

Le 25/01/2021 Par Damien Dutilleul

L’Opéra de Rouen diffuse en direct ce mardi sa production de Pelléas et Mélisande, l’occasion de nombreuses prises de rôle. Ôlyrix a pu assister à une représentation dédiée aux professionnels :

Le rideau de l’Opéra de Rouen s’ouvre dans un grincement laborieux, comme s’il était rouillé après tant de spectacles annulés, découvrant la scénographie imaginée par le metteur en scène Eric Ruf : une pièce d’eau, élément récurrent du Pelléas et Mélisande de Debussy, tient le centre de la scène. Un gigantesque filet y est plongé lors de la rencontre entre Mélisande et Golaud, puis remonté lorsque celle-ci accepte de suivre celui qui deviendra son mari, dans un symbole de sa liberté perdue, de son emprisonnement dans ce lieu austère où elle ne cesse d’être malheureuse. Le filet suspendu laisse couler des gouttes d’eau qui accompagnent le premier interlude de leur musique mystérieuse, et ressemble dès lors aux voiles du navire qui se trouve un peu plus tard au centre de l’attention. Les éclairages en clair-obscur (sauf lors de la scène de la fontaine, unique moment de bonheur offrant d’uniques sourires) accompagnent une production volontairement ténébreuse. La distribution convoque d’ailleurs des tessitures graves (une Mélisande mezzo, un Pelléas baryton et un Golaud basse). Trois ombres parcourent le plateau, Nornes filant le destin fragile des personnages ou faucheuses attentives. La direction d’acteurs exalte la tristesse infinie de tous les protagonistes qui restent prostrés, sombres, las.

Avec beaucoup de cohérence, le chef Pierre Dumoussaud, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen, appuie également sur les timbres graves, accentuant la mélancolie de la partition. Le chef veille à la délicatesse de la pâte sonore, mais laisse parfois ses musiciens couvrir les solistes. D’autant que ceux-ci sont placés sur une estrade recouvrant le parterre du Théâtre des Arts, afin d’assurer leur distanciation et surplombent de ce fait la scène et les solistes. Comme partout, le spectacle vivant se montre en effet exemplaire dans ses protocoles sanitaires, à l’opposé total de secteurs ouverts comme les transports, les spectateurs venant de Paris ayant, pour arriver jusque-là, dû rester entassés au milieu de voyageurs démasqués pour manger, dans des trains confinés où l’absence de réservation obligatoire compromet tout traçage en cas de découverte d’un foyer de contamination.

Cette représentation dédiée aux professionnels, précédant la captation réalisée le 26 janvier (diffusion en direct sur les pages d’Ôlyrix), est l’occasion d’une prise de rôle pour la quasi-totalité des solistes. Tous partagent également une diction parfaite de la langue de Maeterlinck. Huw Montague Rendall et Adèle Charvet apportent une grande fraicheur à leurs rôles-titres. La seconde s’appuie sur un timbre soyeux et une voix, certes encore chétive mais correspondant à l’« oiseau » fragile auquel Pelléas la compare par trois fois, dont l’ambitus parcourt sans difficulté apparente les notes requises par la partition. Son phrasé appliqué laisse au personnage toute sa part d’insondable mystère. Le premier peut compter sur sa voix aux aigus clairs et bien projetés, ainsi que sur le moelleux de son médium qui se corse légèrement dans des graves parfois légèrement forcés pour caractériser un Pelléas sensible et fougueux.

Nicolas Courjal est un Golaud effrayant par sa capacité à alterner des élans de sincère tendresse, des explosions de colère et une violence douce et froide, à enchaîner des graves ténébreux aux belles résonnances et des aigus clairs (souvent passés en voix mixtes). Sa basse complète bien le baryton de Huw Montague Rendall lors de la confrontation des deux frères. Son timbre brillant, la subtilité de sa ligne vocale et de ses nuances captive l’auditoire. La grande humanité avec laquelle Jean Teitgen, autre grande basse française, chante le rôle d’Arkel, sa voix crépusculaire et large, riche et lumineuse, suffisamment puissante pour offrir à l’orchestre l’opportunité de grands élans, font de lui, depuis sa prise de rôle dans cette production au Théâtre des Champs-Elysées en 2017, un Arkel de référence.

Lucile Richardot interprète Geneviève d’une voix dense au timbre resplendissant affichant des reflets moirés. Son phrasé très doux exprime la résignation de son personnage et véhicule beaucoup d’émotion. Anne-Sophie Petit est un Yniold innocent à souhait, à la voix pure et piquante, légèrement acidulée. Elle reste toutefois fluette et se fait régulièrement immerger par l’orchestre. Enfin, Richard Rittelmann, en Médecin et Berger, associe son timbre chantant à une ligne mélancolique.

Lorsque le rideau retombe après cette représentation riche musicalement et dramatiquement, un seul regret subsiste : que cette production ne puisse pas être partagée à un public présent en salle. Déjà, il est temps de sortir de la sécurité sanitaire offerte par le Théâtre pour retrouver les transports, où la distanciation de deux mètres désormais demandée ne sera jamais respectée.

4° RESMUSICA

Pelléas et Mélisande à Rouen : la valeur n’attend pas le nombre des années

Le 27 janvier 2021 par Patrice Imbaud

Remarqué pour sa pugnacité face à la pandémie, l’Opéra de Rouen Normandie affiche crânement ses ambitions dans le domaine lyrique en alignant pas moins de quatre prises de rôle dans ce Pelléas et Mélisande mis en scène par Éric Ruf.


Pelléas et Mélisande de Claude Debussy échappe au carcan du temps et du récit pour préférer l’intuition et l’intemporalité. Drame lyrique où les personnages chantent naturellement, sa modernité fit scandale lors de sa création en 1902, avant qu’il ne devienne un opéra majeur du XX? siècle, incontournable dans l’histoire de la musique, développant une réalité fuyante et trompeuse, domaine de l’illusion, au charme mystérieux et mortifère ouvrant la voie à une quête spirituelle peuplée de symboles.

Dans cette mise en scène unanimement acclamée lors de sa création, en 2017 au TCE, Éric Ruf respecte parfaitement l’esprit de l’œuvre, usant d’une scénographie dépouillée, sombre, déliquescente et aquatique, où une cuve en métal rouillé figure la grotte, tandis qu’un filet de pêcheur suspendu au-dessus d’une mare, tour à tour mer ou fontaine des aveugles, évoque le piège et l’enfermement. Renforcé par les beaux éclairages de Bertrand Couderc, électivement fixés sur les personnages dont les costumes de Christian Lacroix rappellent les tableaux de Klimt, la vision d’Éric Ruf, assez monochrome dans l’ensemble, fait état d’une belle cohérence, laissant toute leur part à l’orchestre et au jeu d’acteur.

L’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie participe à la fête sous la baguette précise et ô combien inspirée de Pierre Dumoussaud. Tout ici n’est que langueur, mystère et fluidité sans que jamais la ligne directrice ne se perde dans le dédale des sonorités debussystes inouïes où cordes et vents rivalisent de maestria, sur un phrasé parfaitement en phase avec la dramaturgie, donnant sa pleine mesure instrumentale dans les nombreux interludes, d’une sidérante beauté.

La distribution, caractérisée par sa jeunesse, surprend par son homogénéité et sa qualité vocale. A tout seigneur tout honneur, pour son premier Pelléas, Huw Montague Rendall rayonne par son timbre lumineux, sa puissance, sa diction irréprochable, comme par son large ambitus de baryton Martin autorisant les aigus les plus vaillants comme les graves les mieux assurés. Face à lui, Adèle Charvet campe, également pour sa prise de rôle, une Mélisande diaphane et mystérieuse assumant superbement sa part d’ombre sans en omettre, toutefois, la sensualité dans la célèbre scène de la tour.

Nicolas Courjal, en Golaud pour la première fois, assume avec brio, vocalement et scéniquement toutes les composantes psychologiques complexes de son personnage tourmenté, dévoré par la folie et la jalousie. La Geneviève de Lucile Richardot, quatrième prise de rôle, impressionne par son humilité et la clarté de son chant dans la scène de la lettre, tandis que Jean Teitgen, seul habitué du rôle d’Arkel, séduit à la fois par son charisme et son humanité servis par une stature vocale irréprochable. Yniold (Anne-Sophie Petit), et Richard Mittelmann (le médecin) complètent cet admirable casting.


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